Slow food : redécouvrir le goût authentique

Dans un monde où tout s’accélère, notre rapport à l’alimentation s’est transformé en une course contre la montre. Nous avalons sans savourer, nous consommons sans apprécier. Face à cette frénésie alimentaire, un mouvement est né en Italie dans les années 1980 : le Slow Food. Son fondateur, Carlo Petrini, s’est insurgé contre l’ouverture d’un McDonald’s près de la place d’Espagne à Rome. Sa philosophie ? Prendre le temps de manger, privilégier les produits locaux et de saison, renouer avec nos traditions culinaires. Le Slow Food n’est pas qu’une simple tendance gastronomique, c’est un véritable art de vivre qui nous invite à redécouvrir le goût authentique des aliments et à repenser notre système alimentaire dans sa globalité.

Aux origines du mouvement Slow Food

Le mouvement Slow Food a vu le jour en 1986 en Italie, pays reconnu pour sa riche tradition culinaire. Cette initiative est née d’une réaction viscérale contre l’industrialisation galopante de notre alimentation et la standardisation des goûts. Carlo Petrini, journaliste et sociologue italien, en est le père fondateur. Tout commence lorsqu’il organise une manifestation pour protester contre l’ouverture d’un restaurant McDonald’s près de la célèbre place d’Espagne à Rome, symbole historique et culturel de la capitale italienne.

Cette opposition ne représentait pas simplement un rejet de la restauration rapide américaine, mais une prise de conscience plus profonde sur l’homogénéisation des cultures alimentaires et la disparition progressive des traditions culinaires locales. En réponse à ce phénomène qu’il percevait comme une menace, Petrini créa officiellement l’association Slow Food en 1989 à Paris, lors de la signature du Manifeste du mouvement par des délégués de 15 pays.

Ce manifeste fondateur posait les bases philosophiques du mouvement : défendre le droit au plaisir gustatif, protéger les traditions gastronomiques régionales, promouvoir une alimentation de qualité produite dans le respect de l’environnement et des producteurs. La devise adoptée, « bon, propre et juste« , résume parfaitement cette vision holistique de l’alimentation.

L’expansion internationale

Ce qui a débuté comme une initiative locale s’est rapidement transformé en un mouvement international. Aujourd’hui, le Slow Food compte plus de 100 000 membres répartis dans 160 pays. Cette expansion témoigne d’une préoccupation mondiale face aux défis alimentaires contemporains.

En France, le mouvement a trouvé un terreau particulièrement fertile, s’appuyant sur une culture gastronomique déjà bien ancrée. Les conviviums, groupes locaux de membres Slow Food, y sont nombreux et actifs, organisant régulièrement des événements pour promouvoir les produits du terroir et les techniques culinaires traditionnelles.

Au fil des années, le mouvement a élargi ses préoccupations pour englober non seulement la préservation des saveurs et des savoir-faire, mais aussi des questions plus larges comme la biodiversité alimentaire, l’agriculture durable, et la justice sociale dans les systèmes alimentaires. Des projets comme l’Arche du Goût, qui recense les produits alimentaires menacés de disparition, ou les Sentinelles Slow Food, qui soutiennent concrètement des productions traditionnelles en danger, illustrent cet engagement multidimensionnel.

De simple réaction à la fast-food culture, le Slow Food s’est ainsi mué en une véritable alternative systémique, proposant une vision complète et cohérente de notre rapport à l’alimentation, du champ à l’assiette. Son influence dépasse aujourd’hui largement le cadre culinaire pour inspirer d’autres mouvements « slow » dans divers domaines de la vie quotidienne.

Les principes fondamentaux du Slow Food

Le Slow Food repose sur trois piliers fondamentaux qui guident toutes ses actions et initiatives : le bon, le propre et le juste. Ces principes forment un triptyque indissociable qui vise à transformer notre rapport à l’alimentation de façon holistique.

Le bon : la redécouverte du goût

Le premier principe du Slow Food concerne la qualité gustative des aliments. Il s’agit de réapprendre à apprécier les saveurs authentiques, non altérées par les processus industriels. Cette dimension hédoniste est fondamentale : manger doit rester un plaisir sensoriel. Contrairement à une idée reçue, le mouvement ne prône pas l’élitisme gastronomique, mais l’éducation au goût pour tous.

Cette éducation passe par l’apprentissage de la dégustation attentive, la reconnaissance des saveurs complexes, et la valorisation des produits de saison à maturité optimale. Les ateliers du goût, organisés régulièrement par les conviviums locaux, permettent aux participants de (re)découvrir des saveurs oubliées ou méconnues, comme celles des variétés anciennes de fruits et légumes.

Le Slow Food encourage à prendre le temps de savourer chaque bouchée, d’être pleinement présent lors des repas, loin des distractions numériques et des habitudes de consommation rapide. Cette pleine conscience alimentaire contribue non seulement au plaisir gustatif mais favorise une meilleure digestion et une relation plus saine à la nourriture.

Le propre : le respect de l’environnement

Le deuxième pilier concerne la durabilité environnementale de notre alimentation. Le Slow Food défend des méthodes de production qui préservent les écosystèmes, la biodiversité et réduisent l’empreinte écologique.

Cela implique de privilégier :

  • L’agriculture biologique ou raisonnée
  • Les circuits courts pour limiter le transport des denrées
  • La saisonnalité des produits
  • La réduction du gaspillage alimentaire
  • La préservation des ressources naturelles

Le mouvement s’oppose fermement à l’utilisation excessive de produits chimiques dans l’agriculture, à la surpêche, et aux pratiques d’élevage intensif. Il valorise au contraire les pratiques agricoles traditionnelles souvent plus respectueuses de l’environnement, comme la polyculture, l’agroforesterie ou la permaculture.

Le juste : l’équité sociale

Le troisième principe fondamental du Slow Food est la dimension éthique et sociale. Une alimentation vraiment bonne ne peut l’être que si elle est produite dans des conditions équitables pour tous les acteurs de la chaîne alimentaire.

Cela signifie assurer :

  • Une rémunération juste pour les producteurs
  • Des conditions de travail dignes dans le secteur agroalimentaire
  • L’accessibilité de la bonne nourriture à toutes les classes sociales
  • Le respect des cultures alimentaires locales

Le Slow Food milite pour des systèmes alimentaires plus démocratiques et inclusifs, où producteurs et consommateurs peuvent nouer des relations directes et mutuellement bénéfiques. Les AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) et autres formes d’agriculture soutenue par la communauté s’inscrivent parfaitement dans cette philosophie.

Ces trois principes – bon, propre et juste – ne sont pas hiérarchisés mais interdépendants. Le Slow Food considère qu’une alimentation véritablement satisfaisante doit répondre simultanément à ces trois exigences, formant ainsi un système alimentaire cohérent et vertueux qui nourrit à la fois le corps, l’esprit et la planète.

De la théorie à l’assiette : adopter la philosophie Slow Food au quotidien

Intégrer les principes du Slow Food dans notre vie quotidienne ne nécessite pas de bouleversement radical, mais plutôt une série de petits changements progressifs dans nos habitudes alimentaires. Cette transition peut commencer par des gestes simples qui, mis bout à bout, transforment profondément notre rapport à la nourriture.

Redécouvrir le marché et les producteurs locaux

La démarche Slow Food commence souvent par un changement dans nos habitudes d’approvisionnement. Privilégier les marchés de producteurs, les AMAP ou les magasins de produits locaux permet de renouer avec la saisonnalité et la fraîcheur des aliments. Ces circuits courts offrent l’opportunité de dialoguer directement avec les producteurs, de comprendre leurs méthodes de travail et de créer un lien social autour de l’alimentation.

L’achat direct auprès des artisans – boulangers, fromagers, bouchers, etc. – favorise la transmission des savoir-faire traditionnels et soutient l’économie locale. Ces professionnels peuvent nous conseiller sur la qualité des produits, leur origine, et parfois même sur la façon de les cuisiner.

Pour ceux qui ne peuvent pas toujours accéder à ces circuits, même les supermarchés proposent désormais des rayons de produits locaux ou issus de l’agriculture biologique. L’idée n’est pas d’atteindre la perfection, mais d’améliorer progressivement la qualité et la durabilité de notre alimentation.

Cuisiner soi-même : le plaisir retrouvé

La cuisine maison représente un pilier fondamental de l’approche Slow Food. Préparer ses repas permet de contrôler la qualité des ingrédients utilisés, de redécouvrir des techniques traditionnelles et de développer sa créativité culinaire.

Contrairement aux idées reçues, cuisiner ne demande pas nécessairement beaucoup de temps. Des préparations simples à base de bons produits peuvent offrir des résultats remarquables. Il s’agit avant tout de renouer avec le plaisir de transformer les aliments et de créer quelque chose de ses mains.

Pour faciliter cette pratique, on peut :

  • Planifier ses menus à l’avance pour optimiser les courses et les préparations
  • Cuisiner en plus grande quantité certains plats pour les congeler
  • Impliquer toute la famille dans la préparation des repas
  • S’inspirer de recettes traditionnelles régionales, souvent simples et savoureuses

La cuisine devient alors un moment de partage et de transmission, particulièrement précieux dans notre société hyperconnectée où les moments d’échange réel se raréfient.

Manger en pleine conscience

La dimension temporelle est au cœur de la philosophie Slow Food. Prendre le temps de manger, sans distraction (télévision, téléphone, ordinateur), permet de savourer pleinement les aliments et d’être à l’écoute des sensations de satiété.

Cette pratique de la pleine conscience alimentaire nous reconnecte avec nos sens : observer les couleurs dans notre assiette, sentir les arômes qui s’en dégagent, apprécier les différentes textures et saveurs. Elle transforme chaque repas en expérience sensorielle complète.

Pour cultiver cette attention, on peut commencer par un ou deux repas par semaine pris sans précipitation, idéalement partagés avec des proches. Ces moments deviennent alors de véritables parenthèses dans le rythme effréné du quotidien.

Redécouvrir le patrimoine culinaire

Le Slow Food nous invite à renouer avec l’histoire culinaire de notre région, à redécouvrir des ingrédients oubliés ou des recettes traditionnelles. Cette exploration de notre patrimoine gastronomique peut prendre diverses formes :

Interroger les anciens sur les plats de leur enfance, consulter de vieux livres de cuisine, participer à des événements gastronomiques locaux, ou simplement expérimenter avec des produits du terroir. Cette démarche permet de maintenir vivante une diversité culinaire menacée par la standardisation des goûts.

Adopter la philosophie Slow Food au quotidien ne signifie pas sacrifier la praticité ou s’imposer des contraintes rigides. Il s’agit plutôt d’une approche flexible et progressive, où chaque petit pas compte. L’objectif ultime est de retrouver une relation plus harmonieuse avec notre alimentation, source de plaisir, de santé et de lien social.

Les défis et enjeux du Slow Food face à la mondialisation

Le mouvement Slow Food se trouve aujourd’hui confronté à des défis majeurs dans un contexte de mondialisation accélérée. Son ambition de préserver la diversité alimentaire et de promouvoir une alimentation de qualité se heurte à des forces économiques, culturelles et sociales puissantes qui façonnent notre système alimentaire global.

La sauvegarde de la biodiversité alimentaire

L’un des combats fondamentaux du Slow Food concerne la préservation de la biodiversité alimentaire. Au cours du XXe siècle, nous avons perdu près de 75% des variétés cultivées dans le monde. Cette érosion génétique représente un appauvrissement irréversible de notre patrimoine alimentaire et une menace pour notre sécurité alimentaire future.

Face à ce constat alarmant, le Slow Food a développé plusieurs initiatives :

  • L’Arche du Goût, un catalogue international qui répertorie plus de 5000 produits alimentaires menacés de disparition
  • Les Sentinelles Slow Food, des projets concrets de soutien aux producteurs qui maintiennent des variétés rares ou des savoir-faire traditionnels
  • Les Marchés de la Terre, qui valorisent les productions locales et traditionnelles

Ces initiatives se heurtent néanmoins à la puissance des logiques industrielles et commerciales qui favorisent la standardisation. Les réglementations sanitaires, souvent conçues pour l’industrie agroalimentaire, pénalisent parfois les petites productions artisanales. De même, les droits de propriété intellectuelle sur le vivant limitent la libre circulation des semences traditionnelles.

L’accessibilité économique d’une alimentation de qualité

Une critique fréquemment adressée au Slow Food concerne son accessibilité économique. Les produits artisanaux, biologiques ou issus de circuits courts sont souvent perçus comme plus onéreux que leurs équivalents industriels. Cette réalité pose la question de la démocratisation d’une alimentation de qualité.

Le mouvement s’efforce de répondre à ce défi par plusieurs approches :

D’abord en rappelant que le prix apparent des aliments industriels ne reflète pas leur coût réel pour la société (externalités négatives sur l’environnement, la santé publique, l’emploi). Ensuite en développant des initiatives éducatives pour enseigner comment cuisiner économiquement avec des produits bruts de qualité. Enfin en soutenant des modèles alternatifs comme les jardins partagés, les coopératives alimentaires ou les groupements d’achats qui permettent de réduire les coûts.

Malgré ces efforts, le défi reste entier dans un contexte où les inégalités sociales s’accroissent et où les budgets alimentaires des ménages sont sous pression.

La résistance culturelle face à l’homogénéisation des goûts

Le Slow Food mène un combat culturel contre l’uniformisation des habitudes alimentaires à l’échelle mondiale. L’expansion des chaînes de restauration rapide, des produits transformés standardisés et des modes alimentaires globalisés menace la diversité des cultures culinaires.

Cette résistance culturelle s’exprime notamment à travers :

Les projets d’éducation au goût dans les écoles, qui forment les jeunes générations à apprécier la diversité des saveurs. Les événements comme Terra Madre, rassemblement mondial des communautés de l’alimentation, qui valorisent les traditions culinaires du monde entier. La documentation et la promotion des recettes traditionnelles via des publications et des plateformes numériques.

Ce travail de préservation culturelle se heurte cependant à la puissance des industries agroalimentaires et de leurs budgets marketing colossaux, ainsi qu’aux transformations des modes de vie (urbanisation, réduction du temps consacré à la cuisine, individualisation des pratiques alimentaires).

La tension entre local et global

Le Slow Food défend une alimentation ancrée dans les territoires, mais doit composer avec la réalité d’un monde globalisé. Cette tension entre local et global soulève plusieurs questions :

Comment concilier la valorisation des terroirs avec les échanges interculturels qui ont toujours enrichi les cuisines du monde ? Quelle place accorder aux produits qui, par nature, viennent de loin (café, thé, épices) dans une démarche qui privilégie les circuits courts ? Comment adapter les principes du Slow Food dans des mégalopoles déconnectées de leur environnement agricole ?

Le mouvement tente de répondre à ces questions en proposant une vision nuancée, qui ne rejette pas les échanges mais les inscrit dans une logique de respect mutuel et de commerce équitable. Il s’agit moins d’un repli sur le local que d’une reconnexion entre producteurs et consommateurs, où qu’ils se trouvent.

Face à ces défis complexes, le Slow Food démontre sa capacité d’adaptation en élargissant constamment son champ d’action et en forgeant des alliances avec d’autres mouvements sociaux. Sa force réside peut-être dans sa nature de réseau décentralisé, capable d’agir localement tout en pensant globalement, et dans sa vision positive qui place le plaisir et la convivialité au cœur du changement social.

Le Slow Food et ses impacts sur notre santé et notre bien-être

Au-delà de ses dimensions culturelles, environnementales et sociales, le Slow Food exerce une influence significative sur notre santé physique et mentale. En nous invitant à repenser notre rapport à l’alimentation, ce mouvement contribue à l’amélioration de notre bien-être global.

Une alimentation plus nutritive et moins transformée

Les principes du Slow Food nous orientent naturellement vers une alimentation composée majoritairement de produits frais, de saison et peu transformés. Cette approche présente plusieurs avantages nutritionnels :

Les aliments frais conservent davantage leurs micronutriments (vitamines, minéraux) que les produits ayant subi de multiples transformations ou de longs transports. Les produits de saison, récoltés à maturité, présentent généralement des profils nutritionnels optimaux. L’absence ou la limitation des additifs alimentaires (conservateurs, colorants, exhausteurs de goût) réduit notre exposition à des substances potentiellement problématiques pour la santé.

De nombreuses études scientifiques confirment les bénéfices santé des régimes alimentaires traditionnels, comme le régime méditerranéen, qui s’alignent parfaitement avec la philosophie Slow Food. Ces modes d’alimentation sont associés à une réduction du risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, et de certains cancers.

Par ailleurs, la cuisine maison permet un contrôle précis des ingrédients utilisés, notamment des quantités de sel, de sucre et de matières grasses, souvent présents en excès dans les plats préparés industriellement. Elle favorise aussi la consommation d’une plus grande variété d’aliments, contribuant à un meilleur équilibre nutritionnel.

Le repas comme moment de détente et de plaisir

Dans notre société marquée par l’accélération constante, le stress chronique représente un facteur de risque majeur pour de nombreuses pathologies. Le Slow Food, en prônant la lenteur et l’attention portée au moment du repas, offre un véritable antidote à cette frénésie quotidienne.

Prendre le temps de manger dans un environnement calme et agréable a des effets physiologiques mesurables :

  • Une meilleure digestion grâce à une mastication plus complète
  • Une régulation plus efficace de l’appétit, le cerveau ayant le temps d’enregistrer les signaux de satiété
  • Une réduction du stress via l’activation du système nerveux parasympathique

Ces bénéfices physiologiques s’accompagnent d’une dimension hédonique fondamentale. Le plaisir gustatif, central dans la philosophie Slow Food, n’est pas un luxe superflu mais un élément constitutif d’une relation saine à l’alimentation. En réhabilitant la notion de plaisir alimentaire, le mouvement contribue à lutter contre les troubles du comportement alimentaire souvent liés à une approche trop restrictive ou culpabilisante de la nourriture.

La convivialité comme facteur de santé mentale

La dimension sociale du repas, fortement valorisée par le Slow Food, joue un rôle déterminant dans notre bien-être psychologique. De nombreuses recherches en psychologie et en sociologie soulignent l’importance des repas partagés pour la cohésion familiale et sociale.

Ces moments de convivialité autour de la table :

Renforcent les liens sociaux et le sentiment d’appartenance à une communauté. Constituent des espaces privilégiés d’échange et de transmission entre générations. Offrent des occasions régulières de déconnexion des écrans et des sollicitations professionnelles.

Dans une époque marquée par l’isolement social croissant et ses conséquences délétères sur la santé mentale, la valorisation du repas comme moment de partage représente un enjeu de santé publique majeur.

Une reconnexion à nos sens et à notre environnement

L’approche Slow Food nous invite à réveiller nos sens souvent engourdis par l’uniformisation gustative. Cette éducation sensorielle dépasse le cadre strictement alimentaire pour influencer notre rapport au monde.

En développant notre attention aux saveurs, aux textures, aux arômes, nous cultivons une forme de présence qui peut s’étendre à d’autres domaines de notre vie. Cette pleine conscience (mindfulness) est aujourd’hui reconnue pour ses effets bénéfiques sur la réduction de l’anxiété et la prévention de la dépression.

Par ailleurs, en nous reconnectant aux cycles naturels à travers la saisonnalité des produits, le Slow Food nous aide à retrouver un ancrage dans notre environnement. Cette reconnexion au vivant et aux rythmes naturels constitue un puissant antidote au syndrome de déconnexion de la nature (nature deficit disorder) identifié par certains chercheurs comme facteur de mal-être contemporain.

Les principes du Slow Food s’inscrivent ainsi dans une approche holistique de la santé, où l’alimentation n’est pas réduite à sa dimension nutritionnelle mais envisagée dans toutes ses dimensions – sensorielle, sociale, culturelle et environnementale. En ce sens, ce mouvement participe à une véritable écologie de la santé, où notre bien-être individuel est indissociable de celui de notre communauté et de notre planète.

Vers une renaissance alimentaire : le Slow Food comme mouvement d’avenir

Loin d’être une simple nostalgie du passé, le Slow Food se révèle être un mouvement résolument tourné vers l’avenir. En combinant tradition et innovation, il esquisse les contours d’un système alimentaire adapté aux défis du XXIe siècle et participe à une véritable renaissance de notre rapport à la nourriture.

L’alliance entre savoirs traditionnels et innovations

Le Slow Food ne rejette pas l’innovation en bloc, mais prône plutôt une approche sélective qui évalue les nouvelles technologies à l’aune de leurs impacts sur la qualité gustative, la durabilité environnementale et la justice sociale. Cette position nuancée permet de créer des ponts féconds entre tradition et modernité.

Les artisans et producteurs qui s’inscrivent dans cette philosophie démontrent qu’il est possible de respecter l’essence des savoir-faire ancestraux tout en les adaptant aux exigences contemporaines. Ainsi, de nombreux fromagers traditionnels ont adopté des équipements modernes qui améliorent les conditions d’hygiène sans compromettre les processus de fermentation naturelle qui font la typicité de leurs produits.

De même, les outils numériques sont mis au service de la cause Slow Food : applications de géolocalisation des producteurs locaux, plateformes d’échange de semences traditionnelles, ou réseaux sociaux permettant de partager recettes et techniques culinaires à travers le monde. Cette hybridation entre pratiques ancestrales et technologies actuelles génère un écosystème d’innovation responsable particulièrement dynamique.

La gastronomie comme levier de développement territorial

Le Slow Food a contribué à faire émerger un nouveau paradigme de développement territorial où la gastronomie joue un rôle central. Ce modèle, que l’on pourrait qualifier d’écogastronomie, repose sur la valorisation des ressources alimentaires locales comme moteur d’un développement économique, social et culturel harmonieux.

Dans de nombreuses régions rurales confrontées au déclin démographique et économique, la redécouverte et la promotion des spécialités culinaires locales ont permis de :

  • Créer ou maintenir des emplois non délocalisables
  • Attirer un tourisme gastronomique respectueux des territoires
  • Renforcer la fierté et l’identité culturelle des communautés
  • Préserver des paysages agricoles et des écosystèmes menacés

Des régions comme le Piémont en Italie, berceau du mouvement, illustrent parfaitement cette dynamique. La valorisation de produits comme la truffe blanche d’Alba ou les vins des Langhe a contribué à revitaliser l’économie locale tout en préservant des pratiques agricoles traditionnelles.

Ce modèle de développement présente l’avantage d’être adaptable à des contextes très divers, des terroirs viticoles européens aux communautés indigènes d’Amazonie, chacun valorisant son patrimoine culinaire spécifique.

L’éducation alimentaire comme projet de société

Face à la perte généralisée des connaissances culinaires et alimentaires, le Slow Food place l’éducation au cœur de son action. Cette dimension éducative dépasse largement la simple transmission de recettes pour englober une véritable alphabétisation alimentaire, indispensable à l’exercice d’une citoyenneté éclairée.

Les jardins pédagogiques dans les écoles, les ateliers de cuisine intergénérationnels, les formations à la dégustation ou les visites chez les producteurs permettent de reconnecter les consommateurs, particulièrement les jeunes générations, avec l’origine de leur nourriture.

Cette éducation alimentaire holistique développe des compétences multiples :

Savoir-faire pratiques (cuisine, conservation, jardinage). Connaissances sensorielles (reconnaissance des saveurs, des qualités organoleptiques). Compréhension des enjeux systémiques (impacts environnementaux et sociaux des choix alimentaires).

En formant des « gastronomes citoyens » capables de faire des choix alimentaires conscients et responsables, le Slow Food contribue à l’émergence d’une démocratie alimentaire où les consommateurs reprennent un certain pouvoir sur leur alimentation.

Un mouvement en constante évolution

La force du Slow Food réside dans sa capacité d’adaptation et d’évolution. Au fil des années, le mouvement a su élargir son champ d’action et approfondir sa réflexion pour répondre aux enjeux émergents.

Initialement centré sur la défense du plaisir gustatif face à la standardisation, il a progressivement intégré des préoccupations environnementales plus larges (changement climatique, pollution plastique, préservation des ressources en eau) et des questions de justice sociale (conditions de travail dans l’industrie agroalimentaire, accès à une alimentation de qualité pour tous).

Cette évolution se traduit par des initiatives comme « Slow Fish » (pour une pêche durable), « Slow Meat » (pour un élevage responsable) ou « Slow Food Youth Network » (qui mobilise les jeunes générations). Le mouvement a également renforcé ses alliances avec d’autres acteurs de la transition écologique et sociale : défenseurs de l’agriculture paysanne, militants pour la souveraineté alimentaire, promoteurs de l’économie circulaire.

Cette capacité à se renouveler tout en restant fidèle à ses valeurs fondatrices fait du Slow Food un acteur particulièrement pertinent face aux défis alimentaires contemporains. En proposant une vision à la fois enracinée dans les territoires et ouverte sur le monde, respectueuse des traditions et tournée vers l’avenir, le mouvement participe à l’émergence d’un nouveau paradigme alimentaire.

Ce paradigme, qui pourrait être qualifié de post-industriel, ne cherche pas à revenir en arrière mais à inventer un modèle alimentaire qui combine le meilleur des savoirs traditionnels avec les connaissances scientifiques actuelles, dans une perspective de durabilité et d’équité. En ce sens, le Slow Food représente bien plus qu’une alternative marginale : il trace les contours d’une véritable renaissance alimentaire dont nous percevons aujourd’hui les premiers signes.